Les plantations

La chocolaterie de lisandre

De la jungle aux plantations

Au cœur de la forêt amazonienne on se fraie avec peine un chemin dans un labyrinthe de verdure étouffante et moite. L’air saturé d’humidité est presque irrespirable. Les hautes futaies résonnent de mille bruits. Les papillons irisé volettent entre les branches ; Une multitude d’oiseaux colorées dansent dans le soleil. Là-haut, un morceau de ciel se dessine entre les cimes. Plus bas, dans l’ombre des grands arbres, les cacaoyers ont poussé au cœur des ténèbres. Leur écorce, très mince, a des reflets d’argent. Leur tronc droit, élancé, dépouillé, s’envole vers les hauteurs et se perdent dans la voute épaisse des feuillages. Une couronne de branche entrecroisé leurs fait une étrange et étonnante coiffure. Ils sont parés de longues feuilles, de bourgeons délicats, de fleurs minuscules et de gros fruits, de cabosse qui renferme les précieux fèves de cacao.

Ceux-ci poussent directement sur le tronc de l’arbre, sans tige ni queue. Les feuilles oblongues brillent d’un vert profond dans la pénombre. Les petites fleurs blanches et rosées éclatent en bouquets serrés. Les cabosses sont de toutes tailles. Certaines sont encore jeunes, vertes où rouges-violets ; d’autres, bien mûres, jaune ou orange, attendent d’être cueillies. Un épais tapis de feuilles mortes jonche le sol, étouffant les pas.

Chaleur, humidité, ombre … Sur toutes les plantations du monde, l’atmosphère est la même. Arbre délicat, le cacaoyer ne se développe que sous le climat chaud et humide, et ne supporte ni les sauts de température, ni le soleil direct. On le cultive sous les tropiques, sur cette bande qui ceinture le globe entre cancer et Capricorne, entre Cuba au nord et la réunion au sud. Du coup c’est dans une semi-obscurité, dans l’ombre d’un grand arbre, idéalement entre 400 et 700 mètres d’altitude.
Tous les cacaoyers ont besoin d’ombre pour prospérer. Presque partout dans le monde, les plantations les plus anciennes ont été gagnées sur la forêt. Les planteurs ont, pendant des mois, lutter contre la nature pour aménager des parcelles au cœur de la forêt tropicale. Dans les terres du bout du monde, le romancier Jorg Amado fait revivre la grande épopée de la conquête des forêts, au sud de l’état de Bahia au Brésil. Il raconte la peur des hommes devant la jungle mystérieuse, ces hommes qui “venaient d’autres contrées d’autre mer, d’autres forêts, mais des forêts déjà conquise, sillonnée par des routes, éclairci par les brûlis, des forêts d’où les Jaguars avait disparu et ou le serpent se faisait rare”.

Il évoque la fièvre du cacao, la volonté du planteur : “lui aussi s’est trouvé devant la forêt, lui aussi a vu les éclairs, a entendu le grondement du tonnerre, le feulement des jaguars et le sifflement des serpents, lui aussi a senti son cœur se serrer en écoutant le cri du lugubre de la chouette.” mais cet homme a dans les yeux une autre vision : “il ne voit pas la forêt illuminée par les ténèbres, bruissant de voix étrange, étouffée par les lianes emmêlées et les arbres centenaires, peuplée d’animaux féroces et d’apparition. Il voit des champs plantés de cacaoyers, les arbres aux fruits d’or en rangées bien droites, les fruits jaunes et murs. Il voit les plantations s’étendre à perte de vue, faisant reculer la forêt.”
Chocs des machettes et des haches sur les bois : technique ancestrale… les grands arbres sont généralement épargnés : les cacaoyers plantés à leur pied. Ces plantations se noient dans la jungle, qui les enserre d’un écrin vert. Elles ne sont jamais très étendues, quelques hectares tout au plus, parfois moins d’un hectare. On tend aujourd’hui à augmenter leur taille, ce qu’encourage les gouvernements ou les compagnies privées de l’exploitation dans de nombreux pays. Mais dans l’ensemble, les grands cacaoyers demeurent des exceptions. Lorsque la plantation n’a pas été conquise sur la forêt, les jeunes cacaoyers ont été plantés en même temps que les arbres parasol à croissance rapide. Ici, ce sont des bananiers aux larges feuilles, des cocotiers, des manguiers, les palmiers, les citronniers … Ailleurs ce peut être Gliricidia sepium. Un arbre très haut originaire des forêts tropicales d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud, dont les fleurs rosées tombent en cascade et illumine les plantations du monde entier ; les planteurs l’appellent madré del cacao, “mère du cacao”. C’est aussi parfois une Érythrine, l’arbre à corail, qui se caractérise par une énorme et rapide végétation. Ou encore un acacia aux fleurs jaunes.
Sur certaines plantations modernes, des planteurs parviennent à faire pousser du cacaoyer sous le plein soleil, sans aucune protection. Comme sur l’île d’Hawaï ou le planteur Jim Walsh cultive, sans ombrage, des arbres qui donnent le seul cacao nord-américain, le Hawaiian vintage chocolat. Ou comme en Amérique du Sud où le chocolatier Christian Constant s’est étonné de visiter une plantation de jeunes cacaoyer poussant en plein soleil sans aucune couverture. Dans ce cas “on utilise un traitement d’engrais et d’hormones qui vont leur faire développer rapidement un feuillage important et leur permettre d’assurer leur propre ombrage”, explique-t-il. Ces expériences se multiplient aujourd’hui ; elle demeure toutefois exceptionnelle. Le cacaoyer n’est-il pas un fruit de l’ombre ?

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